Nicolas Mathieu est venu à la rencontre de ses lecteurs
lyonnais dans le cadre de la sélection du Prix Summer 2019 de la Fête du Livre
de Bron. Il a accepté de répondre à mes questions…
Avant de parler de
votre livre, Leurs enfants après eux (Actes Sud), parlons du Prix Goncourt…
Est-ce que vous craignez qu’il change votre façon d’écrire ?
Je crains l’effet du Goncourt à plusieurs égards. Déjà je me
demande quand est-ce que je vais avoir à nouveau du temps, du repos et toute
chose nécessaire à l’écriture ! Je me demande aussi, maintenant que j’ai
le Goncourt est-ce que je vais écrire avec des gants blancs ? Je ne
voudrais pas écrire d’une manière endimanchée parce que j’ai été célébré par ce
prix. Et puis j’ai aussi sans doute un peu la trouille de la réception après. Je
serai forcément attendu.
Vous êtes ici à Lyon dans
le cadre du Prix Summer de la fête du livre de Bron, qui, on peut le souligner,
vous a sélectionné avant…
Avant le drame ! (rires)
Qu’est-ce que ça représente
pour vous, cette sélection dans un prix décerné par les lecteurs des
bibliothèques ?
Dans ma manière d’écrire, dans les vides que je laisse dans
mes récits, mon texte a besoin du lecteur pour exister. Par ce qu’il va mettre
dans les ellipses. Cette sélection, c’est aussi une manière de voir comment le
texte est reçu et ce que le lecteur y projette.
Justement, vous avez
déjà fait des rencontres en librairies, quels sont les premiers retours ?
Il est reçu diversement. Il y a des gens qui l’aiment
beaucoup. Il y en a d’autres qui le trouvent noir. Certains lycéens ont été
heurtés dans leur pudeur, parce que c’est un roman qui laisse une grande part à
la sensualité et au désir. Parfois, des lecteurs sont aussi heurtés par le vocabulaire
que j’emploie, le côté rentre-dedans du récit.
Il y a plusieurs
livres dans ce roman : roman initiatique, chronique sociale…
J’ai essayé de restituer un monde. Il y a différentes portes
d’entrée. C’est un peu comme une auberge espagnole, on y vient avec son vécu, ses
affects… Certains y voient un roman générationnel. Certains, le roman d’apprentissage
et la description d’une longue histoire d’amour impossible. D’autres sont plus
sensibles à l’aspect social et politique… Il y a mille manières et chacun a
raison.
Vous montrez tous les
rouages de la société, les rapports de classe. Sans faire de raccourci facile
avec les gilets jaunes, il y a quand même une résonnance avec la période
actuelle…
Clairement. Dans le petit monde décrit dans ce roman, on se
doute bien que certains personnages auraient pu endosser un gilet jaune. C’est
cette vie dans les villes moyennes de l’entre-deux, qui ne sont pas des grandes
villes, mais des coins un peu paumés et qui se sentent négligés. C’est un livre
politique parce qu’il porte une attention très soutenue à la manière dont
vivent les gens, dont ça s’articule entre eux et à leurs modes de vie.
On a aussi une impression
de regret, concernant la disparition d’une certaine forme de solidarité entre les
travailleurs, comme elle existait au temps des mines.
Il n’y a pas, je crois, de nostalgie ou d’idéalisation de ce
qu’a été autre fois le monde du travail. Mais. Le roman fait le constat que la
classe ouvrière en tant que classe est sans doute morte. Et avec elle la
solidarité qui tissait ce monde ouvrier. C’est aussi la fin d’un horizon
politique commun. Et du coup, la perte du pouvoir de s’opposer et d’équilibrer
le rapport de force.
Dans votre roman, il
y a un autre livre… celui qui nous montre l’amour que vous avez pour les mots. Il
y a ce choix très précis des mots pour dire les choses.
(Rires) La moindre des choses quand on prétend faire de la littérature,
c’est effectivement de soigner son style. De chercher les bonnes manières de
dire les bonnes choses. Le maitre mot c’est restitution. J’ai essayé de rendre
ce que c’est que d’éprouver l’été, de surmonter l’alcoolisme, surmonter le
temps qui passe quand on a un corps qui vieilli sous ses yeux, se surmonter
soi-même quand on n’est pas la hauteur de la fille qu’on aime... Etre au plus près
de la peau et des personnages. Et de temps en temps, élargir le cadre pour
montrer la société de haut en bas et de long en large.
L’idée, ce serait que chaque lecteur, dans son lit, éprouve
ce que j’ai éprouvé parfois avec tant de force et qui m’a sauvé la vie à
certains moments. Vous savez : on lit un bouquin et puis on se dit « mais
oui c’est tellement ça ! ». Quelqu’un a pris le temps de mettre exactement
les mots sur les choses qu’on ressent sans pouvoir les dire. Et c’est un immense
soulagement.
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