mardi 18 décembre 2018

L'interview de Nicolas Mathieu


Nicolas Mathieu est venu à la rencontre de ses lecteurs lyonnais dans le cadre de la sélection du Prix Summer 2019 de la Fête du Livre de Bron. Il a accepté de répondre à mes questions…

Avant de parler de votre livre, Leurs enfants après eux (Actes Sud), parlons du Prix Goncourt… Est-ce que vous craignez qu’il change votre façon d’écrire ?

Je crains l’effet du Goncourt à plusieurs égards. Déjà je me demande quand est-ce que je vais avoir à nouveau du temps, du repos et toute chose nécessaire à l’écriture ! Je me demande aussi, maintenant que j’ai le Goncourt est-ce que je vais écrire avec des gants blancs ? Je ne voudrais pas écrire d’une manière endimanchée parce que j’ai été célébré par ce prix. Et puis j’ai aussi sans doute un peu la trouille de la réception après. Je serai forcément attendu.

Vous êtes ici à Lyon dans le cadre du Prix Summer de la fête du livre de Bron, qui, on peut le souligner, vous a sélectionné avant…

Avant le drame ! (rires)

Qu’est-ce que ça représente pour vous, cette sélection dans un prix décerné par les lecteurs des bibliothèques ?

Dans ma manière d’écrire, dans les vides que je laisse dans mes récits, mon texte a besoin du lecteur pour exister. Par ce qu’il va mettre dans les ellipses. Cette sélection, c’est aussi une manière de voir comment le texte est reçu et ce que le lecteur y projette.

Justement, vous avez déjà fait des rencontres en librairies, quels sont les premiers retours ?

Il est reçu diversement. Il y a des gens qui l’aiment beaucoup. Il y en a d’autres qui le trouvent noir. Certains lycéens ont été heurtés dans leur pudeur, parce que c’est un roman qui laisse une grande part à la sensualité et au désir. Parfois, des lecteurs sont aussi heurtés par le vocabulaire que j’emploie, le côté rentre-dedans du récit.

Il y a plusieurs livres dans ce roman : roman initiatique, chronique sociale…

J’ai essayé de restituer un monde. Il y a différentes portes d’entrée. C’est un peu comme une auberge espagnole, on y vient avec son vécu, ses affects… Certains y voient un roman générationnel. Certains, le roman d’apprentissage et la description d’une longue histoire d’amour impossible. D’autres sont plus sensibles à l’aspect social et politique… Il y a mille manières et chacun a raison.

Vous montrez tous les rouages de la société, les rapports de classe. Sans faire de raccourci facile avec les gilets jaunes, il y a quand même une résonnance avec la période actuelle…

Clairement. Dans le petit monde décrit dans ce roman, on se doute bien que certains personnages auraient pu endosser un gilet jaune. C’est cette vie dans les villes moyennes de l’entre-deux, qui ne sont pas des grandes villes, mais des coins un peu paumés et qui se sentent négligés. C’est un livre politique parce qu’il porte une attention très soutenue à la manière dont vivent les gens, dont ça s’articule entre eux et à leurs modes de vie.

On a aussi une impression de regret, concernant la disparition d’une certaine forme de solidarité entre les travailleurs, comme elle existait au temps des mines.

Il n’y a pas, je crois, de nostalgie ou d’idéalisation de ce qu’a été autre fois le monde du travail. Mais. Le roman fait le constat que la classe ouvrière en tant que classe est sans doute morte. Et avec elle la solidarité qui tissait ce monde ouvrier. C’est aussi la fin d’un horizon politique commun. Et du coup, la perte du pouvoir de s’opposer et d’équilibrer le rapport de force.

Dans votre roman, il y a un autre livre… celui qui nous montre l’amour que vous avez pour les mots. Il y a ce choix très précis des mots pour dire les choses.

(Rires) La moindre des choses quand on prétend faire de la littérature, c’est effectivement de soigner son style. De chercher les bonnes manières de dire les bonnes choses. Le maitre mot c’est restitution. J’ai essayé de rendre ce que c’est que d’éprouver l’été, de surmonter l’alcoolisme, surmonter le temps qui passe quand on a un corps qui vieilli sous ses yeux, se surmonter soi-même quand on n’est pas la hauteur de la fille qu’on aime... Etre au plus près de la peau et des personnages. Et de temps en temps, élargir le cadre pour montrer la société de haut en bas et de long en large.
L’idée, ce serait que chaque lecteur, dans son lit, éprouve ce que j’ai éprouvé parfois avec tant de force et qui m’a sauvé la vie à certains moments. Vous savez : on lit un bouquin et puis on se dit « mais oui c’est tellement ça ! ». Quelqu’un a pris le temps de mettre exactement les mots sur les choses qu’on ressent sans pouvoir les dire. Et c’est un immense soulagement.




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