Couverture : Amélie Losier |
Anas est atteint d’un cancer. Pour
trouver un peu de sérénité, il décide de s’installer dans un village isolé de
Provence. Besoin de solitude, de se recentrer sur lui-même. Mais, de la
solitude, il va passer à l’isolement puis à l’ostracisme. Une solitude, non
plus choisie ou recherchée, mais subie et imposée.
Lydie Salvayre a choisi la double
narration : un va-et-vient entre les pensées du nouveau venu et les dialogues
de comptoir des gens du village. Deux niveaux de langage, deux perceptions,
deux peurs. Des points de vue qui s’ignorent, puis se méprennent, enfin se
méprisent et se haïssent. La peur de l’autre, de l’étranger est le thème
central de ce roman. La peur qui engendre le rejet et la violence. C’est un
thème cher à Lydie Salvayre, comment chacun fait face à sa propre
violence : ceux qui luttent sans répit pour l’étouffer et ceux qui la
nourrissent. Au milieu, un peu de côté entre le nouveau et les anciens, il y a
Jacques. Professeur de français, érudit, intellectuel. Il fut lui-même la cible
du village à son arrivée. Il possède les mots, la culture pour ne pas céder à
la violence ambiante. Mais il est tiraillé entre sa place d’ « accepté »
et la nécessité absolue de combattre l’injustice. (p.104) : « Il se demandait jusqu’à quand il
pourrait les supporter sans qu’ils l’entrainent dans un engrenage odieux dont
il aurait honte un jour et auquel il ne pourrait plus échapper. Devant
certaines paroles, se taire, il le savait, c’était abdiquer et donner la
victoire au pire ».
Par ce va-et-vient entre l’un et
les autres, Lydie Salvayre crée une tension de plus en plus forte dans le
récit. Et par ce choix, elle nous montre les mécanismes, sans juger personne.
Chacun doit faire face, qui à son chagrin, qui à sa frustration, qui à sa
colère… Mais la haine, c’est comme l’eau. Même dans le plus haut des barrages,
une microfissure suffit à provoquer l’inondation. Il faut sans cesse colmater
les brèches.
Ce livre est une profonde
réflexion sur le langage, les mots qui manquent ou qui agressent. Les bons mots
qui blessent, les plus doux qu’on ne dit pas. Les mots enfouis d’une jeunesse
qu’Anas a tenté d’oublier et qui resurgissent, avec une certaine volupté,
lorsque la haine est trop forte. Il est aussi question de l’écriture, qui
solennise tout. (p.93) : « Il
m’en coûta de l’écrire, les choses, curieusement m’apparaissant plus graves
lorsqu’elles étaient écrites ». L’écriture qui sauve, aussi. Ou au
moins qui vous maintient.
Lydie Salvayre parle enfin de
cette maladie qu’elle connait si bien. Le corps maltraité, les apparences qu’on
sauve. Mais la maladie nécrose aussi l’âme. (p.17) : « Les maladies très graves ont une puissance anxiogène inégalée
parce qu’elles vous obligent à faire, de votre vivant, le deuil de
vous-mêmes ». L’écriture de Lydie Salvayre est une poésie âpre qui
vous rudoie et vous console en même temps.
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