jeudi 8 mars 2018

Tout homme est une nuit de Lydie Salvayre



Couverture : Amélie Losier
Anas est atteint d’un cancer. Pour trouver un peu de sérénité, il décide de s’installer dans un village isolé de Provence. Besoin de solitude, de se recentrer sur lui-même. Mais, de la solitude, il va passer à l’isolement puis à l’ostracisme. Une solitude, non plus choisie ou recherchée, mais subie et imposée.
Lydie Salvayre a choisi la double narration : un va-et-vient entre les pensées du nouveau venu et les dialogues de comptoir des gens du village. Deux niveaux de langage, deux perceptions, deux peurs. Des points de vue qui s’ignorent, puis se méprennent, enfin se méprisent et se haïssent. La peur de l’autre, de l’étranger est le thème central de ce roman. La peur qui engendre le rejet et la violence. C’est un thème cher à Lydie Salvayre, comment chacun fait face à sa propre violence : ceux qui luttent sans répit pour l’étouffer et ceux qui la nourrissent. Au milieu, un peu de côté entre le nouveau et les anciens, il y a Jacques. Professeur de français, érudit, intellectuel. Il fut lui-même la cible du village à son arrivée. Il possède les mots, la culture pour ne pas céder à la violence ambiante. Mais il est tiraillé entre sa place d’ « accepté » et la nécessité absolue de combattre l’injustice. (p.104) : « Il se demandait jusqu’à quand il pourrait les supporter sans qu’ils l’entrainent dans un engrenage odieux dont il aurait honte un jour et auquel il ne pourrait plus échapper. Devant certaines paroles, se taire, il le savait, c’était abdiquer et donner la victoire au pire ».
Par ce va-et-vient entre l’un et les autres, Lydie Salvayre crée une tension de plus en plus forte dans le récit. Et par ce choix, elle nous montre les mécanismes, sans juger personne. Chacun doit faire face, qui à son chagrin, qui à sa frustration, qui à sa colère… Mais la haine, c’est comme l’eau. Même dans le plus haut des barrages, une microfissure suffit à provoquer l’inondation. Il faut sans cesse colmater les brèches.
Ce livre est une profonde réflexion sur le langage, les mots qui manquent ou qui agressent. Les bons mots qui blessent, les plus doux qu’on ne dit pas. Les mots enfouis d’une jeunesse qu’Anas a tenté d’oublier et qui resurgissent, avec une certaine volupté, lorsque la haine est trop forte. Il est aussi question de l’écriture, qui solennise tout. (p.93) : « Il m’en coûta de l’écrire, les choses, curieusement m’apparaissant plus graves lorsqu’elles étaient écrites ». L’écriture qui sauve, aussi. Ou au moins qui vous maintient.
Lydie Salvayre parle enfin de cette maladie qu’elle connait si bien. Le corps maltraité, les apparences qu’on sauve. Mais la maladie nécrose aussi l’âme. (p.17) : « Les maladies très graves ont une puissance anxiogène inégalée parce qu’elles vous obligent à faire, de votre vivant, le deuil de vous-mêmes ». L’écriture de Lydie Salvayre est une poésie âpre qui vous rudoie et vous console en même temps.



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