Couverture : Pierre
Alechinsky
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« Guerre et Paix :
contrepèterie douteuse ». Un message anonyme punaisé sur la porte du
narrateur, Christophe, homosexuel et père d’une fillette de 10 ans. Cinq mots
qui sonnent comme une menace. Cinq mots nauséeux, qui agissent sur cet homme
comme un révélateur sur le papier photo. Prise de conscience jusqu’au vertige,
de la violence du monde qui l’entoure. Comme si ce message, d’une lâcheté
crasse, avait soudain déchiré un voile de tulle, lui montrant le monde tel qu’il
tourne mal. Christophe avait jusque-là le sentiment d’être protégé ou du moins
ne se sentait-il pas menacé par l’homophobie. Une sorte de déni. Des années
passées à minimiser les signes, les vexations, les rejets. (P.27) : « Combien de ce n’est rien m’avaient permis de croire qu’il n’y avait pas de
danger, je n’étais pas menacé, je n’étais pas victime d’homophobie, le mot
solennel, je ne devais pas me défendre ». Remontent alors ces « petits
riens », agressions gratuites, dénigrements, critiques qui ont ponctué sa
vie professionnelle et personnelle. Jusqu’au « rien »
originel : la première personne qui n’a pas su l’accepter tel qu’il est,
son père. Et la seule réponse qu’il a pu trouver pour faire face. (p.85) :
« Aujourd’hui, sans terreur, je
peux l’écrire, je peux admettre que je ne fus adoré par mon père qu’une fois qu’il
a été mort. Il a été par moi aimant, fier, proche, complice de son fils ;
hors de moi distant, honteux, dédaigneux, étranger. Et il ne m’a fallu que
quelques mois pour métamorphoser son mépris en amour ».
Relecture des moments-clés et de
toutes ces petites agressions du quotidien, sur lesquelles on passe. Bien obligés.
Pouvons-nous, sans cesse, nous indigner de tout ? Devons-nous nous
défendre, monter au front à chaque fois ? Clouer le bec à cette maman d’élève
qui outrepasse son rôle ? Sauter à la gorge d’un client méprisant ? Christophe,
lui, a construit sa vie en passant outre. Outre les cases dans lesquelles on l’enferme,
outre les jugements sur comment mener sa vie…
Cinq mots punaisés sur une porte
et votre vie vous apparaît totalement différente de celle que vous pensiez
avoir vécue.
Christophe Honoré nous parle d’enfance
dans ce livre. Comment toute une vie est conditionnée par l’amour qu’elle a
reçu (ou pas) au tout début. Et comment protéger sa fille de la violence du
monde. Il adresse une « non-lettre » poignante à l’enfant qui a
trouvé le mot. Il lui confie son mal-être, tellement enfoui au plus profond qu’il
en devient une part de lui-même. (P.145) : « Et le manque d’espoir dont je me sens souffrant et épris, dit la
victoire de ce malheur ».
Beaucoup de poésie pour mettre en
mot l’indicible, faire naître la beauté du manque et de la souffrance. Il y a
de l’amour et de l’intelligence à toutes les pages. L’amour pour sa fille, pour
l’art, pour la vie.
Pour nous tous, les repères ont
bougé, avec la violence et la peur. Nous sommes perdus dans cette société qui
se cherche. Ce livre de Christophe Honoré, nous aide à remettre notre boussole
sur le Nord. Car ce qui compte, à la fin, c’est de savoir (p183) « Comment danse-t-on après ? ».
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