Il est des souvenirs que l’on chérit. D’autres qui nous
pèsent. Et puis, il y a les souvenirs dormants dans le brouillard de nos
mémoires. Des personnes, des conversations, des rencontres éphémères, qui, sans
crier gare, ressurgissent au détour d’une rue, dans le titre d’un livre ou l’ombre
d’un regard. Patrick Modiano s’efforce livre après livre, de retrouver ces
personnes qui ont un jour traversé sa vie, coupé sa trajectoire. Dans ce
nouveau livre, il part à la recherche de quatre femmes, qu’il a rencontrées dans
les années 1960. Il a le souci des dates, des noms, des lieux. Se souvenir, coûte
que coûte, même si ce n’est que de bribes, même si c’est imprécis. Convoquer le
moindre détail pour reconstituer les faits, ramener ces femmes à la lumière.
Patrick Modiano est le gardien des traces éphémères, des adresses, des noms,
des voix. (p.42) : « Il m’arrivait
souvent de capter des bribes de conversations d’inconnus dans les cafés. Je les
notais le plus discrètement possible. Au moins, ces paroles n’étaient pas
perdues pour toujours ». Des traces comme des preuves de vie, la vie
des autres dans la sienne. En répertoriant les passages les plus infimes, les
plus éphémères des personnes qu’il a croisées dans sa vie, Patrick Modiano
tente aussi de reconstituer sa propre existence, comme s’il craignait, plus que
tout, d’avoir rêvé tout cela. Et qui sait ? (p.80) : « Aucun d’eux ne m’a donné de ses
nouvelles, ces cinquante dernières années. Je devais être invisible pour eux à
cette époque. Ou bien, tout simplement, vivons-nous à la merci de certains
silences ». On ressent beaucoup d’inquiétude dans l’écriture de
Patrick Modiano : un tourment, une sensibilité à la mémoire des lieux ou
au danger qui émane de certaines personnes, et qui le poussent à fuir. Il a
aussi ce souci de vivre les rencontres au mieux, et le regret éternel des
maladresses, des timidités, des silences qui ternissent les relations et
parfois les avortent. (p.56) : « Si
l’on pouvait revivre aux mêmes heures, aux mêmes endroits et dans les mêmes
circonstances ce qu’on avait déjà vécu, mais le vivre beaucoup mieux que la
première fois sans les erreurs, les accrocs et les temps morts ». Toutes
ces petites choses que l’on ressasse et qui nous gâchent les souvenirs.
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