couverture : Robert O'Dea |
Je chéris tout particulièrement
les livres de Sorj Chalandon. Ils sont autant de petits trésors de vie. Et Une
Promesse ne fait pas exception. Des mots soigneusement choisis, des personnages
justes. Aucun jugement jamais, dans les choix qu’ils font ou ne font pas. La
Promesse lie sept amis : Léo, Yvan, Berthevin, Blancheterre, Madeleine,
Paradis et Lucien, dit le Bosco. C’est le Bosco qui les entraine dans ce
serment, à la mort de son frère Etienne et de sa femme Fauvette. Sorj Chalandon
est un écrivain de l’image. Il ne décrit pas, il montre. Mieux, il laisse voir
et ressentir. (p.50) « Il observe la
route qui emmène au-delà. Elle tangue. Le vin soulève le trottoir et malmène
les mots. Il ferme les yeux. Comme ça, juste pour faire sombre. Pour sentir les
maïs qui frisent jusqu’à Grange-Buron, les forêts qui fougèrent, les nuages qui
grisent, les ronces qui mûrent, la lumière qui palpite. ». Sorj
Chalandon ne décrit pas les hommes, il nous les fait entendre. (p.61) « La voix de Paradis est une voix de
distance, une voix de rodeur, de déplacé, d’errant. Il parle comme on s’éloigne
et comme on se méfie (…) Léo parle triste. Il parle maigre. Sa voix n’a plus
d’éclat. Depuis la mort d’Angèle, il marmonne, il soupire, il lugubre (…) La
voix de Berthevin est une voix mâchonnée. Il est ivre au matin et fatigué au
soir. Il mouille ses mots, les bredouille, les ronronne. Il fait bouillie de
phrases (…) Madeleine chantonne. Elle sourit chaque mot (…) Le professeur
Blancheterre parle content. Il a une voix de ville, de petit monsieur. Il parle
sans blessure de rien. Il parle comme il regarde, bien droit, bien profond,
bien clair ». Dans la Promesse, il y a surtout cette amitié, belle, à
pleurer d’envie. « Il les regarde un
à une. Il les aime. C’est comme ça. Même Berthevin le simple, même Yvan le
difficile, même Paradis qui chaparde quand on tourne le dos. Il les regarde et
il se dit qu’ils ont tenu promesse. Qu’ils sont allés au bout du bout, vers la
lumière du deuil, là où frèrent les hommes ». Sorj Chalandon est un
écrivain de l’humain. Il montre l’humanité des petites gens. Ces hommes et ces
femmes de peu, qui possèdent le plus important : la probité, l’engagement,
l’honneur, la dignité. Léo, Yvan, Madeleine et les autres ont promis. Ils ont
tenu parole. Parce que leur ami Le Bosco leur a demandé. Sans explication
superflue, sans question. Parce qu’on aide un ami qui en a besoin, comme il
nous aidera quand on lui demandera. Quand on a les clés du Quatrième Mur et de
Profession du Père, on retrouve dans Une Promesse, des choses plus personnelles
sur la vie de l’auteur. Le Bosco qui se confronte au métier de marin pour se
rapprocher de son père. Et qui décide de revenir à terre pour ne pas mourir
comme lui. On y trouve aussi une magnifique relation au frère. Un mélange de
pudeur, de protection et de bienveillance. Et pages 65 et 66, ces jolis
mensonges dont personne n’est dupe, qui adoucissent la vie et disent combien
ils s’aiment. « Un soir, pour son
frère seul, Etienne a raconté comment Milon de Crotone s’était délivré de
l’arbre. Comment il avait tué les loups en les faisant tournoyer par la queue
au-dessus de sa tête. Comment il est mort beaucoup plus tard, noyé dans leur
étang après avoir voulu se battre avec la foudre. Et il a entendu petit Lucien
dire qu’il préférait l’histoire du loup. Qu’il aimait mieux la vérité ».
Une Promesse est un roman sur la fraternité au-delà des liens du sang, et sur
la loyauté au-delà de la mort. Sorj Chalandon rend hommage aux morts qu’il
refuse d’oublier. Parce qu’oublier, c’est trahir. Ce roman nous rappelle l’essentiel,
ce qu’on ne doit jamais perdre de vue. Comme cette lanterne au plus fort de la
tempête, si l’on veut garder une chance de rentrer au port.
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