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jeudi 27 septembre 2018

Patria de Fernando Aramburu



couverture : Meltin Demiralay
Patria veut dire pays, terre natale. Mais ce livre est l’histoire d’une amitié morte. D’un côté, Bittori, son fils Xabier et sa fille Néréa. De l’autre, Miren, son mari Joxian, sa fille Arantxa, ses fils Joxe Mari, combattant de l’Eta emprisonné et Gorka. Au milieu : Le Txato. Le mari de Bittori exécuté par l’ETA. Il refusait de payer plus d’impôt révolutionnaire. Dans un village de la campagne espagnole, être désigné comme une cible par l’ETA, c’est une condamnation à mort et une condamnation à la solitude et à l’exil pour le reste de la famille. Etre vu en compagnie d’une cible de l’ETA est tout aussi dangereux. Alors les commerçants refusent de servir Bittori, les regards se détournent et c’est l’heure où les amitiés se prouvent ou meurent. Isolée, Bittori quitte le village.
Fernando Aramburu débute l’histoire à la fin de la lutte armée, lorsque l’ETA dépose les armes, renonce à la violence et révèle ses caches d’armes. Vingt ans ont passé depuis la mort du Txato. Dans une chronologie aléatoire, avec l’assassinat pour seul repère de temps et une narration qui passe de la première à la troisième personne, Fernando Aramburu retranscrit toute la confusion d’un pays déchiré : qui pense quoi ? Qui dit quoi ? Qui vit quoi ?
Se côtoient les loyaux de loin, les traîtres de peur, ceux qui refusent de choisir un camp. Il y a la fidélité du fils Xabier, qui refuse le bonheur depuis la mort de son père. Il y a l’appétit de vie de la fille Néréa, qui délaisse sa famille pour se libérer du village. (P.133) : « Elle, sa mère, son frère, tous les trois étaient devenus les satellites d’un homme assassiné. Qu’ils le veuillent ou non, leurs vies tournaient depuis de longues années autour de ce crime ».
Comme dans toute guerre, les exactions se commettent dans les deux camps : attentats contre tortures, humiliation contre rébellion. Gorka refuse la violence, mais il résiste à sa façon, en écrivant en Euskera, la langue Basque, cette identité que le gouvernement espagnol cherche à éteindre.
Une cause mérite-t-elle que l’on tue pour elle ? Qu’a-t-on à gagner à tuer ? Du fond de sa cellule, Joxe Mari a tout le temps de se poser ces questions, et d’autres encore. Quand on dépose les armes, qui gagne, qui perd ? Et surtout qui gagne quoi ? (p.593) : « Il avait fait du mal et avait tué. Pourquoi ? La réponse le remplissait d’amertume : pour rien. Après tant de sang, ni socialisme, ni indépendance, que dalle ! ». L’ETA dépose les armes et le gouvernement espagnol exige aussi qu’elle demande pardon, comme Bittori l’exige de Joxe Mari. (P.605) : « Voyons, pourquoi devons-nous demander pardon ? Et les crimes des GAL, alors ? Quelqu’un a-t-il demandé pardon pour ça ? Ou pour les tortures dans les casernes et les commissariats ? Pour la dispersion et pour toutes les agressions du Peuple Basque ? ».
Fernando Aramburu aurait pu écrire un roman de l’Espagne entière. Il aurait pu montrer la difficulté à vivre dans un pays déchiré par la violence tout en rendant sa place au peuple Basque. Il aurait pu démontrer la violence aveugle des attentats en lui opposant la violence d’Etat contre l’identité Basque. Dommage qu’il prenne parti.
Il fallait qu’un camp ait le courage de faire le premier pas. Celui qui dépose les armes, permet à tous de gagner la paix.


mardi 3 mai 2016

Jugan de Jérôme Leroy

Jugan est un ancien militant d’extrême-gauche des années 70. Il a tué pour sa cause et n’a jamais renoncé à la lutte armée. Défiguré, il sort de prison après des années d’enfermement en haute sécurité. Clotilde est une ancienne camarade de Jugan. Elle n’a jamais abandonné son ami pendant son incarcération, mais porte la culpabilité de ne pas s’être engagée à ses côtés dans la violence. Et puis, il y a la jeune et belle Assia. Sorte d’Antigone des banlieues, qui aspire à plus de liberté face à ce père qui l’étouffe. Elle travaille bien au lycée, elle aide les enfants en difficulté après les cours. Mais, elle va croiser Jugan. Ce roman parle de l’engagement politique, de la violence. Du sentiment de trahison des idées et des êtres. C'est aussi un livre sur l’identité. Jugan sans visage, est-il toujours celui qu’il fut ? Assia, beurette en manque d’affection, est-elle uniquement ce que les autres veulent qu’elle soit ? Clotilde, pleine de culpabilité, a-t-elle trahi ses idéaux ? Ou est-elle restée fidèle à ce qu’elle est au fond ? Jugan est le roman des choix. A partir des idéaux des années 70 en France, la lutte prolétaire, la lutte armée, Jérôme Leroy interroge nos choix de vie. Une cause mérite-t-elle de mourir ou de tuer ? P.85 : « S’ils lui avaient ordonné de tuer un ministre, de poser une bombe dans une caserne ou d’enlever l’enfant d’un patron, il l’aurait fait. Pour la Cause. Et il était étonné de voir qu’il y avait toujours eu à travers le temps des hommes pour reprendre l’étendard de cette Cause, pour tout y sacrifier et s’y brûler dans un mélange de rage inapaisable et de bonheur fou. Jugan était de cette race-là, une race magnifique et dangereuse ». La violence de Jugan n’est pas seulement liée à la cause. Il est la violence. Il est possédé par elle. Sinon pourquoi asservir ainsi Assia ? La violence se nourrit des hommes. Assia elle-même accepte cette violence et s’offre à elle. P.122 : « La nuit dernière, l’homme à la face violacée l’avait prise de toutes le manières imaginables, cherchant à l’humilier et à lui faire mal mais le pire c’est qu’elle avait aimé cette souffrance, qu’elle en hurlait de plaisir ». Seule Clotilde, la petite boiteuse, a su combattre la bête, en elle. Mais elle n’a pas renoncé à son admiration.
Jérôme Leroy a une écriture fluide et efficace. Pas un mot en trop. Une écriture au cordeau pour une histoire de chair, de sang et de douleur.