jeudi 25 juillet 2019

Né d’aucune femme de Franck Bouysse

couverture : Sara Saudkova


Un livre d’une noirceur peu commune. Rose, aînée de 4 filles, vit dans la ferme familiale avec père et mère. La pauvreté extrême pousse parfois à des décisions désespérées, avec cette certitude qu’aucune alternative n’est possible. Les semaines passent et toute l’horreur de votre choix vous apparait sans pouvoir rien y changer.
Rose quitte la ferme pour servir une famille de bourgeois sur le déclin. Qui de plus désespéré qu’un riche qui s’appauvrit ? Qui de plus déterminé à maintenir son niveau de vie, que celui qui sent le déclassement le menacer ? Qui de plus dangereux, qu’un homme de pouvoir, bien décidé à s’en servir pour humilier, dominer, assujettir. (p.148) : « la haine que j’avais de moi étouffait en partie celle que j’avais d’eux ».
Franck Bouysse joue avec les niveaux de langage, la naïveté ou le cynisme de ses personnages, pour exposer toutes les palettes de l’âme humaine, jusqu’aux plus sombres tréfonds, souvent servis par l’ordre établi, les rapports de dominants-dominés, selon que l’on possède ou que l’on travaille. Franck Bouysse pose aussi les rapports de valeurs : le pouvoir et la possession, la loyauté et la justice, la droiture et le cynisme, le courage et la lâcheté (p.194) : « être lâche, c’est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange ».
Ce que nous lisons, ce sont les voix des petits : Edmond le palefrenier, et Rose principalement. Sans bagage scolaire, elle écrit son histoire avec ses propres mots, parfois maladroits, insuffisants. (p.268) : « j’aurais besoin d’en connaitre d’autres, plus savants, des mots avec plus de choses dedans ».
Les mots pour dire aussi la solitude de chacun face à son destin. La vie vous fait parfois endurer plus que le supportable. Rien ni personne ne peut vous aider. Chacun est seul. (p.236) : « Personne ne peut attraper le malheur de quelqu’un, même pas un bout, juste imaginer le mal à sa propre mesure, c’est tout ».
Franck Bouysse a un talent et un style indéniables. Comme il faut posséder les mots, pour leur faire dire plus qu’ils ne contiennent !
C’est noir, comme la suie, acre comme un feu de forge, violent comme le marteau qui écrase, sans concession. Ou presque.


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