Couverture : Letizia Goffi |
On connait Robert Desnos, au moins de nom. Pour certains, il
était poète, pour d’autres résistant. D’autres encore s’en souviennent comme
d’un écrivain pour la jeunesse. Robert Desnos était tout cela à la fois.
Ecrivain, poète, journaliste, animateur radio... Il a touché à toutes les
formes d’écriture. Mais au-delà de son histoire, de ses vies, Robert Desnos
était un homme libre. Profondément. C’est ce portrait que nous offre Gaëlle
Nohant. Et pour nous permettre de faire connaissance avec l’œuvre, elle ponctue
son récit des vers de Robert Desnos. Dès les premières pages, on découvre un
homme qui aime vivre, manger, boire, rire. Sortir, voir, découvrir. La première
description physique de Robert Desnos passe par son regard. La vie, la flamme
de Desnos, ce sont ses yeux. (P.20) : « Des yeux qui aiment, caressent et pleurent, des yeux ouverts
derrière les paupières… des yeux de poète ». Robert Desnos est habité
par une fièvre, une urgence. Il invente sans cesse de nouvelles formes
d’écriture, refuse de céder un pouce de sa liberté de penser et de créer.
Il préférera quitter Breton et les surréalistes, que de renoncer à
ses projets et ses envies. D’où lui vient cette urgence ? Cette
fièvre ? De ses failles. La brouille avec son père, ses amours déçues, son
manque de reconnaissance. (P.324) : « Une euphorie le gagne à la pensée de cet horizon qui se découvre
à mesure qu’il avance et se défait de ses mues successives, de ces vieilles
peurs qui le ralentissent : celle de demeurer transparent, de n’être pas
aimé. ». Les lecteurs de La Part des Flammes connaissent le travail de
recherche et de reconstitution historique dont est capable Gaëlle Nohant. Ici
encore, elle restitue pour nous les rues du Paris des années 20. Les pavés, les
ruelles, les Halles, le Bal nègre, le Bœuf sur le Toit… Nous côtoyons André
Breton, Louis Aragon, Man Ray, Cocteau, Prévert, Jean-Louis Barrault ou le
peintre Foujita. Mais les Années Folles cèdent le pas à des temps plus sombres.
La montée de l’antisémitisme, l’entrée en guerre, la défaite, l’Occupation.
L’engagement de Robert Desnos dans la Résistance n’est pas le résultat d’un
choix, d’une réflexion. C’est une évidence, un réflexe viscéral pour cet homme
qui place la liberté au-dessus de tout. Elle justifie tous les risques, toutes
les souffrances, tous les sacrifices. Il poursuit son travail de journaliste et
plante des banderilles entre les lignes, il invente des histoires pour cet
enfant caché, il transmet des documents confidentiels, fabrique des
faux-papiers, va jusqu’à participer à un sabotage. Même arrêté, emprisonné, il
n’aura de cesse de rassurer Youki, sa Sirène, de la protéger, de l’encourager.
Mais il refusera de mentir sur son métier pour s’assurer un meilleur
traitement. (P.479) : « Je
veux voir jusqu’où les Allemands peuvent aller. Quand je reviendrai, j’écrirai
sur tout ça. Ne t’en fais pas pour moi, j’ai une étoile pour veiller sur moi et
une Sirène à retrouver. Je ne risque rien ». Robert Desnos était un
être humain, pas un surhomme ou un super-héros. Ses bourreaux étaient aussi des
êtres humains. Et c’est cette différence énorme de choix, de pensée et d’actes
entre des êtres si proches, qui est bouleversante. Même au cœur de l’enfer, il
montera un canular à ses compagnons d’infortune pour leur offrir une parenthèse
rêvée. Jusqu’au bout, il portera l’espoir. (P.478) : « Dans ce lieu où tout espoir a été
anéanti, où les hommes ont été réduits à la bête, certains arrivent encore à
rester humains, solidaires, fraternels. Quand on voit ça, comment ne pas
espérer en l’homme ? ». Il est parfois très difficile de croire
en l’Homme plus qu’en Dieu. Robert Desnos fait partie de ces quelques humains
qui me réconfortent. Il est mort du typhus le 8 juin 1945, à l’hôpital de
Terezin, un mois après la libération du camp. Robert Desnos ne reverra jamais
Paris et sa Sirène. Sa mort peut apparaître comme une injustice
rageante. On peut aussi retenir qu’il est mort, comme il a vécu, en homme
libre.
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