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Au cœur de ces saisons d’orage, il y a d’abord un lieu :
les Trois-Gueules. Des falaises grises percées par un torrent, un ciel
colérique. Une nature rude et majestueuse. Un lieu hors du temps et hors du
monde. Les hommes qui y vivent sont des fourmis blanches qui grignotent la
carrière. Un lieu considéré comme perdu, sauvage, hostile par les habitants des
villes. Les trois-Gueules sont le lieu qu’a choisi André le médecin, pour fuir
la fureur du monde, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. (P.21) : « André avait toujours cru savoir ce que
signifiait le prix d’une victoire ; il apprendrait, dorénavant, à vivre
avec ses cadavres, comme on traîne en soi une douleur latente ». André
prend soin des habitants des Trois-Gueules. Il devient un personnage central du
village des Fontaines. Il y sera rejoint par son fils Benedict. Une relation d’amour
et de non-dit. André, enfermé dans son passé, hanté par ses fantômes, aime son
fils sans être capable de le lui dire ou le lui montrer. Benedict, en
admiration devant son père, en attente de reconnaissance, persuadé de n’être
jamais à la hauteur dans son rôle de fils, puis plus tard de médecin. Et
toujours, à côté, au-dessus, autour, cette nature qui donne sa pierre, sa
terre, son eau… Mais qui n’oublie jamais de réclamer son dû. C’est le pacte
entre les Trois-Gueules et les fourmis blanches : les hommes le savent, un
jour vient, inévitablement, où il leur faudra rendre à la terre. Ce roman est
construit comme une tragédie grecque : le décor comme personnage
principal, des hommes et des femmes qui luttent contre un destin, dont on sent
bien qu’il n’ira pas sans larme ni sang. Le premier sacrifice aux Trois-Gueules
étant celui de la mère de Benedict. D’autres suivront. Des choix impossibles
entre deux lieux, deux familles, deux amours. Et cette malédiction de celui qui
devine, et qui doit laisser le destin s’accomplir. (p.215) : « Il était trop vieux, trop fatigué pour
chercher des réponses. Mais il savait. Et comme la plupart des hommes qui
savent mais ne peuvent rien dire, il souffrait terriblement. Il savait ».
Cécile Coulon aime les mots. Elle les respecte, elle les soigne. L’écriture est
précise, parfois rugueuse comme la nature qu’elle décrit et en même temps,
douce, sensible, amoureuse de cette nature et des hommes qui la blessent et la
respectent. Cécile Coulon nous offre aussi parmi les plus belles pages écrites
sur le désir. (p.189) : « Quand
elle disait bonjour, au revoir, son odeur, sa peau provoquaient des
tremblements mais elle restait digne, alors que Valère n’y arrivait pas, ses
mains trainaient sur sa taille le plus longtemps possible, ses lèvres
effleuraient lentement, très lentement, la joue de sa future belle-mère. Agnès
se persuadait qu’elle dominait la situation, pensant qu’à force de le voir, de
lui parler, elle s’habituerait à sa présence et lui à la sienne, qu’ils
apaiseraient le feu à l’intérieur. Son corps ne pourrait pas régner
éternellement. Elle se croyait capable de soumettre son désir à sa raison ».
Trois saisons d’orage nous plonge dans les tourments de la raison et du cœur,
dans nos luttes internes, dans la fureur du monde, dans ce sentiment que nous
ne pouvons nous cacher, nous retirer du monde. Peut-être devons-nous alors,
nous aussi, conclure ce pacte tacite, accepter ce que nous ne pouvons changer, et
trouver ainsi suffisamment de force pour vivre ce que nous avons à vivre ?
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