Nous sommes à Paris, à la veille
de la Seconde Guerre Mondiale. Et nous plongeons dans le conflit et surtout dans
l’Occupation, en compagnie de Lucien et Laura. Lui, est orphelin de père. Un
père mort en héros de la lutte des classes, assassiné lors d’un meeting. Lucien a
été recueilli par un libraire, spécialisé dans les livres anciens. A ses côtés,
il va apprendre le métier. Mais aussi la vie, et les choix qu’elle nous impose.
Laura est chercheuse en physique au Collège de France, dans l’équipe de
Frédéric Joliot-Curie. Elle étudie la Pechblende. La pierre qui porte malheur.
L’uranium. Entre eux, Jef Goldman. Il est enseignant en philosophie des
sciences. Amoureux des livres. (p.58) : « Au fond, on avance toujours tout nu sur le chemin de la mort, lança Jef
en caressant d’un doigt sauteur la reliure de percaline. Heureusement, les
livres font un excellent isolant thermique. Ils nous protège du vrai froid ».
Jean-Yves Lacroix dépeint admirablement le monde des livres qu’il connait bien,
étant lui-même libraire en livres anciens. On plonge dans les reliures, la
poussière et l’odeur de colle des ateliers de restauration. On découvre les
indices permettant de dater et authentifier les livres anciens. Certains doutent encore que la Guerre puisse éclater. Mais
tout est en place. (p.78) : « sous
les divergences idéologiques que revendiquent les uns et les autres, la
perspective des profits que promet de générer le conflit a réussi à mettre tout
le monde d’accord. Et puis, regarde autour de toi, l’univers n’a déjà plus d’yeux
que pour la nouvelle barbarie. ». Jean-Yves Lacroix dit alors les
spoliations lors de l’occupation, l’aryanisation des commerces et des
entreprises. Les librairies tenues par des juifs, fermées par les nazis, et
rachetées à bas prix par des français bien catholiques. Il montre comment l’occupant
installe les lois anti-juives. Et comment chacun se débat (plus ou moins
vigoureusement) avec sa conscience. Surtout, il montre que rien n’est simple. Les
grands principes du jeune Lucien se heurtent à la nécessité de survivre. Son
patron connait les noms de trois libraires qui ont dénoncé des bouquinistes
juifs. Lucien le somme de dire la vérité. Réponse de son patron, p.157 : « La vérité, Lucien, elle lève le camp avec
les vainqueurs. Tu devrais méditer Omar Khayyam, car il enseigne l’art de dire
les choses et celui de se taire, dans les vraies occasions :
Le mystère doit rester voilé aux esprits vils
Et les secrets impénétrables aux fous.
Réfléchis à tes actes vis-à-vis des autres hommes ;
Il faut cacher nos espérances à toute l’humanité. »
Et l’on voit Lucien et Laura
grandir, passer de l’enfance à l’âge adulte avec face à eux, des choix
douloureux, des questionnements moraux que d’autres générations avant et après
eux n’ont pas eu à affronter. (p.309) : « Lucien s’étonnait de la folie des siens : la folie de connaitre,
la folie d’aimer, de s’abandonner, la folie de soumettre la vie à des idées ». Il n'y a pas de vrais héros ni de parfaits salauds dans ce livre, il y a juste des hommes et des femmes, qui ont fait comme ils ont pu. L’écriture de Jean-Yves Lacroix est belle, douce. Son livre est subtil, cruel et juste.
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