couverture : Corey Arnold |
La magie de la littérature est de
vous emmener où vous ne seriez sans doute jamais allé de votre propre chef.
Pari réussi pour Catherine Poulain qui vient de m’offrir un voyage en Alaska,
parmi les pêcheurs de morue noire. Un roman âpre. Une écriture rugueuse. Et la
découverte d’un monde fait d’hommes rudes, de froid, d’alcool et de puanteur.
P.37 : « je ne sais pas ce qui fait que l’on veuille tant souffrir,
pour rien au fond. Manquer de tout, de sommeil, de chaleur, d’amour aussi, il
ajoute à mi-voix, jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à haïr le métier, et que
malgré tout on en redemande, parce que le reste du monde vous semble fade, vous
ennuie à en devenir fou ». Lily est une française qui fuit on ne sait trop
quoi et décide de s’engager sur un bateau de pêche en Alaska. Comme sur terre, les femmes doivent prouver leur valeur en mer. Elle ne
sera pas chouchouter, on s’en doute. Lily, un prénom doux et délicat, pour une
femme forte, dure à la douleur, avec des mains d’homme. Une gentille brute
prête à en découdre, dans un corps de fillette, maigrelet. Catherine Poulain
retranscrit à merveille la dureté de la vie de pêcheur : le froid, le
mouillé, le puant. La fatigue jusqu’à l’ivresse. P.123 : « Roulés
dans nos duvets et le rempart de nos frusques sales, humides encore, nous nous
enfonçons dans nos couchettes, visages renversés dans le noir, bras rejetés en
arrière, corps déployés. Et comme on a tendu, contraint, forcé, blessé ce
corps, on le relâche enfin dans le bruit des moteurs, le balancement sans fin de
la houle. Et comme on s’est donné à l’effort, on se livre au sommeil ». C’est
là que réside la force du roman de Catherine Poulain : il n’y a rien de
cérébral, d’intellectualisé. Lily fait la connaissance d’un monde, d’un métier,
d’un homme, par son corps. Tout est charnel, touché, ressenti. Les sens sont
exacerbés. P.50 : « Quelque chose se réveille en moi, violent désir
de résister et de me battre toujours plus, contre le froid, la fatigue, vaincre
les limites de petit corps ». C’est un roman animal. Jude, le grand marin,
est rustre, taciturne, mais terriblement humain dans sa force comme (et
surtout) dans sa faiblesse. Et sans théorie ou grand discours, il a saisi l’essentiel
de la vie. P.303 : « (Lily) Pourquoi on arrête de courir dans les
bois pour les bars, la dope et tout ce qui nous fait du mal ? (Jude) Je ne
sais pas, c’est comme ça. Pour ne pas mourir d’ennui, je suppose, d’ennui ou de
désespoir. Et puis y a la bête, dans nous, faut la calmer. Quand tu l’assommes
ça va mieux ».
La bête, que l’on assomme de
guerre, d’alcool, de drogue…. Ou pour certains de mots. Les livres mettent en
mot désarroi et incompréhension face au monde. Qu’on les écrive ou qu’on les
lise.
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