lundi 23 mai 2016

Le Grand Marin de Catherine Poulain

couverture : Corey Arnold
La magie de la littérature est de vous emmener où vous ne seriez sans doute jamais allé de votre propre chef. Pari réussi pour Catherine Poulain qui vient de m’offrir un voyage en Alaska, parmi les pêcheurs de morue noire. Un roman âpre. Une écriture rugueuse. Et la découverte d’un monde fait d’hommes rudes, de froid, d’alcool et de puanteur. P.37 : « je ne sais pas ce qui fait que l’on veuille tant souffrir, pour rien au fond. Manquer de tout, de sommeil, de chaleur, d’amour aussi, il ajoute à mi-voix, jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à haïr le métier, et que malgré tout on en redemande, parce que le reste du monde vous semble fade, vous ennuie à en devenir fou ». Lily est une française qui fuit on ne sait trop quoi et décide de s’engager sur un bateau de pêche en Alaska. Comme sur terre, les femmes doivent prouver leur valeur en mer. Elle ne sera pas chouchouter, on s’en doute. Lily, un prénom doux et délicat, pour une femme forte, dure à la douleur, avec des mains d’homme. Une gentille brute prête à en découdre, dans un corps de fillette, maigrelet. Catherine Poulain retranscrit à merveille la dureté de la vie de pêcheur : le froid, le mouillé, le puant. La fatigue jusqu’à l’ivresse. P.123 : « Roulés dans nos duvets et le rempart de nos frusques sales, humides encore, nous nous enfonçons dans nos couchettes, visages renversés dans le noir, bras rejetés en arrière, corps déployés. Et comme on a tendu, contraint, forcé, blessé ce corps, on le relâche enfin dans le bruit des moteurs, le balancement sans fin de la houle. Et comme on s’est donné à l’effort, on se livre au sommeil ». C’est là que réside la force du roman de Catherine Poulain : il n’y a rien de cérébral, d’intellectualisé. Lily fait la connaissance d’un monde, d’un métier, d’un homme, par son corps. Tout est charnel, touché, ressenti. Les sens sont exacerbés. P.50 : « Quelque chose se réveille en moi, violent désir de résister et de me battre toujours plus, contre le froid, la fatigue, vaincre les limites de petit corps ». C’est un roman animal. Jude, le grand marin, est rustre, taciturne, mais terriblement humain dans sa force comme (et surtout) dans sa faiblesse. Et sans théorie ou grand discours, il a saisi l’essentiel de la vie. P.303 : « (Lily) Pourquoi on arrête de courir dans les bois pour les bars, la dope et tout ce qui nous fait du mal ? (Jude) Je ne sais pas, c’est comme ça. Pour ne pas mourir d’ennui, je suppose, d’ennui ou de désespoir. Et puis y a la bête, dans nous, faut la calmer. Quand tu l’assommes ça va mieux ».
La bête, que l’on assomme de guerre, d’alcool, de drogue…. Ou pour certains de mots. Les livres mettent en mot désarroi et incompréhension face au monde. Qu’on les écrive ou qu’on les lise.

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