Heureusement qu’il s’agit d’une
histoire vraie, car on n’aurait pu croire à un personnage comme Jacques
Lusseyrant s’il avait été inventé ! Comment et où cet enfant de huit ans,
devenu brusquement aveugle, a-t-il trouvé cette force, cette foi inébranlable
pour accepter sa cécité ? Il a fait plus que cela : il l’a considérée
comme la chance de sa vie, sa deuxième naissance. Grâce à elle, dit-il, il voit
mieux que les voyants. Et il l’a prouvé tout au long de sa courte vie. Pensez
donc, étudiant en lettre, Jacques Lusseyrant s’est engagé dans la Résistance
dès ses 17 ans. Mieux, il sera chef de son propre réseau, avant de rejoindre
Défense de la France. Il se basera sur ses sens exacerbés par la cécité pour
recruter de nouveaux compagnons et « sentir » les menteurs. Arrêté
sur dénonciation, incarcéré à Fresnes, Jacques sera déporté à Buchenwald. Il
supportera tout et survivra à l’enfer. Là aussi, face au pire, sa cécité sera
sa chance. Il pourra se replier en lui-même, retrouver sa « lumière
intérieure » pour se soustraire à la folie des hommes. Le retour de
Buchenwald ne sera pas facile. Il sera victime de ce que l’on nomme aujourd’hui
la discrimination. Malgré une érudition bien au-dessus de la moyenne, l’Ecole
Normale lui ferme ses portes parce qu’il est aveugle. Qu’à cela ne tienne, il
enseignera. Sa seule faiblesse ? Les femmes. Il s’enfuit avec a troisième
épouse, une de ses étudiantes. Dans Le
Voyant, Jérôme Garcin fait bien plus que nous raconter la vie déjà très
romanesque du « voyant aveugle », il nous entraine dans sa lumière.
Et il change notre regard sur ceux qui n’en ont plus. Le regard ne fait pas la
vue. Jacques Lusseyrant pensait bien plus loin. Pour lui, c’est le regard qui
opacifie le monde : « fermez les yeux et vous verrez ». Le livre
de Jérôme Garcin nous ouvre tout un monde nouveau de couleurs, de formes et de
sensations. Il nous dessille les yeux. En refermant Le Voyant, on a le sentiment qu’une fenêtre intérieure s’est
entrouverte. Visiblement, l’écriture de ce livre a eu les mêmes effets pour
Jérôme Garcin (p.185)
: « (…) pour le voir, je dois baisser les paupières, tirer
le rideau sur mes paysages, m’installer dans une petite nuit provisoire, et
alors son visage s’éclaire, il parle, il sourit, il paraît plus vivant que les
vivants. Et le plus étrange, voyez-vous ? est qu’il me regarde. »
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