couverture : Charlotte Jolly de Rosnay |
Francine ne s’appelle pas vraiment Francine. En vrai, elle
est Edda. Comme elle n’a plus son identité, elle peut tout aussi bien s’appeler
Barbara pour un soir. Le nom fait-il la femme ? Perd-on toute identité
lorsqu’on tait son nom ? Mais finalement ici, ce n’est pas le nom
l’important mais le silence qui l’entoure. Ce silence qui dévore toute parole
mais qui ne tue rien de ce qu’il cache. (p.17) : « Le silence n’a rien effacé. Le silence n’a rien à voir avec
l’acide. Il ne vainc ni même adoucit quoi que ce soit, il conserve au
contraire ». Quelle pire blessure que celle qui ne se voit pas ?
Une déchirure qui vous brûle à l’abri des regards. Francine est une estropiée
de la vie, sans blessure apparente. (p.148) : « Car elle trompe son monde, elle. Elle qui tient debout. Qui est
même désespérément valide et infiniment résistante, qui s’est toujours fait
l’impression d’être cette sale bête impossible à crever ».
Francine se tait car personne ne souhaite l’écouter. Alors,
elle emprunte inlassablement le bus 96, chaque jour, jusqu’au terminus en
changeant régulièrement de rame et de place. Toute la journée, elle traverse
Paris dans ce bus 96, puis le soir, elle rentre chez elle. Et le lendemain
encore, ce bus, à la recherche d’une oreille qui voudra bien entendre son histoire.
Mais écouter Francine, ce serait prendre sa douleur. Une
douleur bien trop grande pour sa propre fille. (p.74) : « Parce qu’on en revient toujours à
ça. A ce malheur qu’on ne lui pardonne pas. A ce fil noir, qu’il conviendrait
qu’elle tranche. Allons ce qui les sépare, sa fille et elle, Francine le sait
bien, ce sont les larmes. Celles qu’elle ne peut pas verser ».
A force de bus, il est fatal qu’on rencontre une semblable.
Est-on toujours seul, le jour où l’on rencontre une autre solitude ? Une
autre souffrance qui ne parvient pas à se dire ? Il suffisait de peu de
chose pour que Francine lève la tête, une main même pas tendue, un visage sans
bonté. Juste une autre solitude. Pour se regarder différemment. Pour se
reconnaitre. Se retrouver.
Plus que dire, il fallait à Francine la simple possibilité
de dire. Juste avoir le droit de parler. Sans forcément en user. Que quelqu’un
l’autorise. Et cette tâche si sombre sur le buvard pourra peut-être
s’estomper ?
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